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Notre sujet :

Sédation profonde et directives anticipées : plus d’autonomie, oui mais…

Rencontre préparatoire avec Mme Estival du CCNE, le 5 mai 2022 au lycée Mariette :

Sylvette Estival

Mercredi 25 mai 2022.

Journée nationale des lycéens

Maison de la chimie

FIN DE VIE ET DIRECTIVES ANTICIPEES

Retour de la journée annuelle des lycéens du CCNE

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« La fin de vie », tel est le sujet retenu par le Professeur Jean-François DELFRAISSY, Président du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), pour l’édition 2022 de la journée publique annuelle de réflexion des lycéens. Deux cents élèves venus de toute la France, réunis à la Maison de la chimie, à deux pas de l’Assemblée Nationale vont exposer le fruit de leurs réflexions sur cette question difficile. C’est une première sélection pour le lycée Mariette de Boulogne sur mer engagé depuis sept ans dans un travail de réflexion avec le projet : « Ethique-Lab ». Ce dispositif, conçu comme un laboratoire à l’échelle de l’établissement et du territoire, permet d’aborder de façon approfondie les questions d’éthique avec les élèves. Ce document constitue le rapport de la préparation et du déroulé de cette journée riche en rencontres et échanges.  

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Choix du sujet présenté :

Malgré les appréhensions face à un sujet assez lourd, la présentation de la thématique de la fin de vie suscite beaucoup d’émotion et de prises de parole au sein du groupe classe. Les discussions se concentrent essentiellement autour de deux principes non autorisés en France : l’euthanasie et le suicide assisté. Concernant la fin de vie naturelle, les élèves avouent avoir du mal à se projeter vers leurs vieux jours alors qu’ils ont la vie devant eux. Penser à sa mort quand on est bien portant et qu’on se croit invincible, cela ne va pas de soi ! Le débat se poursuit alors avec la présentation du dispositif des directives anticipées inscrit dans la législation française depuis 2005. Les directives anticipées sont des instructions écrites à l’avance qui permettent de faire « entendre la voix » du patient en fin de vie alors que celui-ci se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. L’intérêt des élèves s’éveille. S’imaginer aux portes de la mort à la suite d’un accident ou d’une maladie grave, incapable de s’exprimer et envisager pouvoir néanmoins décider des conditions de sa fin de vie est absolument fascinant. Une seule élève sur les onze participants a une vague connaissance de ce dispositif, sa mère ayant rédigé des directives anticipées. Cette proportion est conforme à aux enquêtes nationales. La plupart des Français sondés connait peu ou pas les directives anticipées et seulement 11% de ces Français en ont rédigé. Nous poursuivons la discussion en indiquant qu’avant 2016 le médecin pouvait ou non tenir compte des directives anticipées dans sa prise de décision mais qu’aujourd’hui elles sont contraignantes. Un médecin se trouve désormais dans l’obligation de suivre les volontés du patient. Les axes de travail se dessinent alors : Qu’inscrire dans ses directives anticipées ? Comment les rédiger ? Comment les conserver ? Quels impacts peuvent avoir une telle demande dans la relation soignant-soigné ? Comment à notre échelle de lycéens peut-on œuvrer pour mieux faire connaitre leur existence ?

 

Projet et cadre de travail :

Les élèves volontaires ont cinq mois pour mener à bien leur projet. L’objectif est d’effectuer des recherches pour présenter oralement, sur un temps imparti de vingt minutes, leur travail face à deux cents personnes. Des rencontres, des tables-rondes sont organisées en amont pour nourrir la réflexion. A l’issue de leur intervention, les élèves sont soumis aux questions du public et du jury composé de membres du CCNE. Une partie du travail préparatoire s’effectue sur le temps scolaire avec les équipes pédagogiques sur différents points en lien avec les programmes. La majeure partie du travail se réalise une fois par semaine en dehors des cours avec les responsables du projet (Rodolphe MARTIN – professeur de SVT et Camille NASLIN-BREANT – professeur d’Histoire-Géographie-EMC).

 

Déroulé de l’intervention :

Après de nombreuses recherches, rencontres et discussions, les élèves sont prêts à se présenter devant leurs camarades et leur jury composés des membres du CCNE, Régis AUBRY et Claude DELPUECH.

CCNE maison de la chimie

Les directives anticipées permettent à toute personne majeure d’exprimer ses volontés, notamment sur la fin de vie, pour les faire valoir dans le cas où elle ne serait plus en capacité de s’exprimer. Il s’agit par exemple d’indiquer si on accepte ou non certains traitements, si on accepte ou non d’être alimenté et hydraté par des tuyaux, si on accepte ou non de respirer avec une machine… Ces directives anticipées peuvent être rédigées sur papier libre ou sur le modèle de formulaires disponibles en ligne. Elles doivent être datées et signées. Leur rédaction peut être difficile à appréhender seul, c’est pourquoi il est important d’en discuter avec la famille, les proches, un professionnel de santé ou une association de patients. Lors de la rédaction des directives anticipées, une « personne de confiance » est généralement désignée. Elle accompagne le patient dans son parcours médical et le représente s’il n’est plus en mesure de s’exprimer. Depuis la loi du 2 février 2016, les directives anticipées s’imposent au médecin. Leur contenu prime alors sur les différents avis et témoignages de la personne de confiance ou des proches. Le médecin ne peut refuser de les appliquer que dans deux cas : en cas d’urgence vitale, le temps d’évaluer la situation et lorsque les directives anticipées lui apparaissent inappropriées ou non conformes à l’état du patient. Elles laissent aussi l’occasion d’exprimer des préférences quant au lieu de fin de vie : l’hôpital, si possible l’EHPAD (lieu d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) ou le domicile. Les souhaits de nature non médicale et les croyances ne sont pas considérés comme des directives mais peuvent être précisés.

Les directives anticipées peuvent être remises au médecin traitant, à la personne de confiance, à un proche ou encore stockées dans un espace numérique. Ces volontés peuvent être modifiées à tout moment et seule la dernière version sera prise en compte. Il est possible de supprimer définitivement des directives anticipées.

Depuis la loi KOUCHNER de 2002, quand un patient déclare qu’il ne veut plus un traitement le maintenant en vie, le médecin n’a pas de marge de manœuvre. Les traitements n’ayant pour effet que de maintenir artificiellement la vie sont alors considérés comme de l’obstination déraisonnable (anciennement appelée acharnement thérapeutique). La loi LEONETTI de 2005 introduit l'interdiction de l'obstination déraisonnable. Tout patient est en droit de la refuser oralement ou par directives anticipées, même si ce refus peut avoir des conséquences vitales. Depuis 2016, lorsque le pronostic vital est engagé, c’est-à-dire lorsque le décès est imminent et inévitable, le médecin peut, après délibération collégiale et en accord avec le patient, mettre en œuvre une Sédation Profonde et Continue Maintenue jusqu’au Décès (SPCMD). Sont alors injectés de la morphine pour atténuer la douleur et du Midazolam ou Hypnovel pour endormir profondément le patient de manière à s’assurer qu’il ne souffre plus en attendant la mort. On stoppe l’hydratation et la nutrition artificielles, la personne dort et ne réagit ni à la voix ni au toucher. Les soins de confort sont maintenus jusqu’au décès. Lorsque le pronostic vital est engagé chez un patient hors d’état d’exprimer sa volonté, la consultation des directives anticipées permet à l’équipe médicale de respecter ses dernières volontés. Si le patient accepte la SPDMC, le médecin peut poursuivre la démarche, s’il la refuse, c’est le statut quo.

L’un des éléments remarquables découverts au fil de ce travail concerne les relations médecin-patient qui se sont fortement transformées au cours du temps. Un modèle centré sur le patient a progressivement remplacé un mode de fonctionnement plus paternaliste dans lequel, il y a une soixantaine d’années, les médecins n’hésitaient pas à imposer aux malades parfois sans s’embarrasser d’explications, ce qu’ils jugeaient être bon pour eux. Cette relation paternaliste, fondée sur le principe de bienfaisance à l’égard de celui qui est en état de faiblesse en raison de sa maladie et de son ignorance, laissait peu de place à l’information, à la recherche d’un consentement aux soins et à une implication du patient dans les décisions relatives à sa maladie. De 2002 à 2005, une succession de lois va impacter le système médical laissant émerger un patient toujours plus autonome. Dans un premier temps, l’obligation a été faite aux médecins d’informer les patients de façon « loyale, claire et appropriée » sur leur état de santé, sur les soins et traitements possibles, les risques et chances de succès et le cas échéant de leur laisser la possibilité de refuser un soin. Même si le médecin peut encore parfois être le seul à savoir ce qui est mieux pour son patient, il n’est plus le seul à décider pour lui : la nécessaire collaboration du patient au processus de soin est désormais de mise. Ces lois ont aussi promu l’amélioration de la fin de vie, en aidant au développement des soins palliatifs et en mettant en place un cadre juridique interdisant l’obstination déraisonnable… La manière et le moment de mourir sont ainsi devenus presque l’objet d’un choix (sans aller toutefois jusqu’au choix de la date du décès). Chacun a dorénavant la liberté d’imposer oralement les conditions de sa fin de vie ou de le faire savoir à l’avance en rédigeant des directives anticipées au cas où il deviendrait incapable d’exprimer ses volontés.

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Dans le cadre des directives anticipées et de la SPCMD, l’autonomie semble élever la décision individuelle au rang de valeur des valeurs. Ces dispositifs sont même perçus par certains comme une manifestation de défiance envers l’autre puisque le patient met en scène qu’il vaut mieux se fier à un document rédigé plutôt qu’à la conscience du médecin. Laisser penser au patient qu’il peut se dispenser de la nécessaire relation de confiance faite au médecin pourraient conduire ce dernier à se sentir déresponsabiliser face aux situations complexes de fin de vie. Outil de communication utile pour le médecin et le malade, les directives anticipées doivent être un document de dialogue autour des souhaits et volonté de la personne et non être considéré uniquement comme un document médico-légal. Les directives anticipées s’inscrivent dans la relation de soins au cœur d’une démarche partagée et personnalisée qui enrichit la relation médecin avec son patient. L’accompagnement du patient dans la réflexion et la rédaction des directives anticipées concerne tous les professionnels de santé et doit se faire au rythme du patient.

 

Conclusion :

Le dispositif des directives anticipées reste encore bien trop méconnu du grand public. Le lycée, passage obligé vers l’âge adulte, pourrait devenir un tremplin pour que les citoyens s’approprient au plus vite ce droit. Les élèves du lycée Mariette proposent de faire connaitre cette possibilité via notamment les Conseils de Vie Lycéens dans les établissements, les académies et au niveau national. En outre, à Alain CLAYES, présent dans la salle, co-auteur de la loi CLAYES-LEONETTI renforçant les droits des malades et des personnes en fin de vie, nos élèves proposent d’utiliser les réseaux sociaux pour faire rapidement connaitre les directives anticipées aux futurs citoyens via notamment des campagnes d’informations ciblées envers les jeunes.

Les applaudissements sont nourris et récompensent un travail sérieux et documenté, une présentation dynamique et une grande réactivité aux questions du jury et du public. Les retours sur l’expérience des élèves sont plus que positifs, ils ont eu la sensation de connecter leurs apprentissages au monde réel et de participer à un instant de réflexion citoyenne important. Si une nouvelle loi sur la fin de vie venait à être étudiée dans l’hémicycle, nul doute que nos élèves pourront se vanter d’avoir apporté leur petit caillou à l’édifice de la réflexion éthique sur la question épineuse de la fin de vie en France.

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Rodolphe MARTIN et Camille NASLIN-BREANT

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